Nnaemeka Ali, O.M.I
Innu Nikamu et la transmission du Savoir Autochtone

L’une des joies que l’on éprouve après plusieurs années de présence missionnaire dans une communauté autochtone, c’est le fait de se sentir accueilli et considéré comme membre à part entière de cette famille.
Nous venons de participer cette année, à notre cinquième festival Innu Nikamu, lieu d’expression des richesses culturelles d’un peuple et école de transmission du savoir ancestral à travers les chants, la danse et les comédies.
Le festival se veut une école de libération où les règles de jeu habituelles tombent. Dans cette école, le transmetteur du savoir n’est pas le centre d’intérêt aussi longtemps qu’il reste fidèle au savoir ancestral. En effet, Innu Nikamu promeut une forme d’éducation telle que semblable à celle décrite par l’écrivain noire Américaine, Bell Hooks qui, dans son ouvrage « Apprendre à transgresser : l’éducation comme pratique de la liberté » (2020), souligne l’aspect libérateur de l’apprentissage qui généralement doit passer par la résistance aux normes habituelles :
« Je célèbre l’enseignement qui favorise la transgression — un mouvement contre et au-delà des limites. C’est un mouvement qui fait de l’éducation une pratique de la liberté ».

Le festival Innu Nikamu avec son objectif de chanter la résistance adopte cette règle de jeu : refuser de se conformer à un stéréotype qui pour plusieurs générations collait sur le dos des peuples autochtones. Il chante la fierté de son peuple qui continue de résister aux systèmes de domination, aux religions qui subjuguent les nations, et aux idéaux qui freinent l’épanouissement des nations autochtones. Il célèbre les arts qui favorisent la liberté comme souligne si bien Madame Hooks. Voilà pourquoi Innu Nikamu a réuni cette année, divers acteurs sociaux : les musiciens du métal, les rappeurs engagés, un comédien, des chanteurs militants, des chanteurs spirituels.
Tous ces présentateurs avaient chacun un message de libération, de résistance, de réconfort, d’engagement, d’espoir. Le secret de réussite de cet évènement qui est en réalité, le plus grand festival de musique à l’est du Québec, réside dans la fidélité à son objectif originel, à savoir : chanter sa résistance, et célébrer son identité.
Au cours des différentes éditions du festival auxquelles nous avons pris part, nous avons vu la pédagogie autochtone d’initiation à la vie, se manifester au grand jour. On était heureux de constater comment le jeune coordonnateur de cette année, a pu s’imprégner de la sagesse et du savoir-faire de l’ancien coordonnateur M. Reginald Vollant à travers l’observation soutenue pendant plusieurs années. Et le résultat de sa coordination est la preuve que cette pédagogie autochtone est une des meilleures façons de transmettre la culture. La présence de Set Leo, Kashkun, etc., au festival témoigne de cette volonté des ainés de léguer le patrimoine culturel à la jeunesse.

On voit aussi se développer un phénomène nouveau, à savoir une collaboration franche entre artistes de diverses générations et origines. Comment ne pas exprimer notre joie de voir sur scène Alexandre McKenzie avec des jeunes Kelly Régis du groupe Ninan ! Comment ne pas admirer la présence du jeune Noah Mckenzie à la prestation de son modèle Scot-Pien Picard, ou encore la présence du jeune rappeur étoile wendat, Dan l’Initié, auprès des grands musiciens tels que Mike Paul, et Black Gerenomio (San Pression) ! Enfin, comment rester indifférent à la présence d’autres jeunes artistes de relève tels que Kanen, Maryline Léonard, la jeune rappeuse noire Naya Ali, des jeunes rappeurs innus, Native Mafia, sans oublier les spectaculaires présentations des Innus-stars telles que Maktar Dione, Noah Mckenzie, Kami Vachon, etc.
Pour nous, Innu Nikamu n’est pas simplement une activité folkorique mais un véritable laboratoire culturel. Il est désormais un lieu où il faudra prêter beaucoup d’attention pour découvrir l’évolution de la pensée sur l’identité, la résistance, la langue, la spiritualité et autochtones. Des chercheurs en sociologie, anthropologie et spiritualité autochtones devront prêter attention à ce qui se dit et se vit lors de ce festival. Les historiens devront aussi observer comment l’histoire des nations autochtones se construit ou encore se réécrit à travers les musiques et les danses au cours de ce festival musical.
Ce qui nous impressionne de plus, c’est le dialogue intergénérationnel qui s’instaure progressivement comme voie d’actualisation de l’identité autochtone. Il y a une tension positive entre le passé glorieux raconté par les ainés, et les questions importantes que se posent les jeunes en quête de sens sur les valeurs autochtones, la place des langues autochtones, la question des femmes autochtones assassinées ou disparues, ou encore les conséquence des années de colonisation et du pensionnat autochtone.
Enfin, le festival Innu Nikamu devrait être désormais l’agora de rencontre interculturelle, intergénérationnelle et une école traditionnelle autochtone. Le moment est venu d’aller au-delà du spectacle afin de récolter des précieux fruits de ce brassage culturel, l’apprentissage du savoir et la transmission de la connaissance à la manière autochtone. Dans cette aventure, l’institut Tshakapesh jouera un rôle essentiel dans la structuration et l’accompagnement de ce laboratoire culturel.