Nnaemeka Ali, O.M.I
Innu Nikamu, quand le peuple chante sa résistance

« Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage » (I Know Why the Caged Bird Sings) est le titre de l’œuvre majeure de la poétesse noire américaine, Maya Angelou. Dans cette autobiographie, Maya écrit :
« La vie était comme un tapis roulant. Elle continuait avec détachement, sans hâte ni précipitation, et ma seule pensée était de rester debout bien droite et de garder à la fois mon secret et mon équilibre. Me couper des gens ou ne plus les entendre était un art que je possédais au plus haut degré. »
Au cours de cette semaine, j’ai écouté des chanteurs de toute origine nous montrer qu’à travers les chansons, on peut réécrire l’histoire de tout un peuple. La 38e édition du Festival Innu Nikamu a été un moment exceptionnel dans l’histoire de la chanson autochtone. Dès le début du festival de cette année, le message était clair, Innu Nikamu — l’Innu, le peuple chante.
Malgré des siècles d’oppression, des techniques de persécution, de méthode de colonisation, d’effort de soumission, le peuple continue de chanter, l’oiseau en cage continue de chanter — Innu Nikamu. Chaque chanteur ou chanteuse en passage sur la scène principal ou encore sur le minibus installé devant l’église de Maniutenam avait un message d’espoir à transmettre ou encore un mal-être à dénoncer.
Jeudi soir, par exemple, j’ai écouté Kathia Rock chanter « Quand le jour se lève. » Elle l’avait exécuté avec un chanteur soufi et une chanteuse de gorge (inuite) du groupe Oktoecho, au son du ney, l’oud, et le tambour autochtone. C’était si envoûtant qu’on se sentait à un monde parallèle. Une jeune danseuse innue en plein regalia faisait vibrer les clochettes alors qu’un autre jeune « derviche tourneur » virevoltait magnifiquement, tout connecté avec l’invisible. C’était vraiment une séance de danse de guérison pour des âmes qui se laissent toucher par le Créateur.
Le lendemain, c’était le tour d’une jeune innue de Maniutenam, Kanen. Elle fait partie du groupe émergeant, Nikamu Mamuitun. Kanen avait un talent d’une grande conteuse, racontant, à la manière de Naomi Fontaine (Kuessipan), le quotidien de son peuple. Avec une écriture unique et une voix angélique sa musique dessinait un avenir prometteur d’une jeunesse en pleine conscience de son rôle dans la construction de ce nouveau peuple qui chante sa résistance.
Et puis, vendredi soir, c’était le tour du groupe métal septilien qui, à travers leur amour de guitare et de la batterie, ont fait vibrer la scène annexe de l’Innu Nikamu. Avec notre cher (maître) Jonathan Gernest Jourdain au micro, ce groupe métallique Septilienne a pu rassembler presque tous les amoureux du hard rock de notre beau coin du pays.
Avec leur style contre-culture, ils ont réaffirmé que la résistance peut aussi passer par un plongé à une spiritualité qui n’est pas forcément religieuse. C’était une soirée folle avec les spectateurs dansant à la technique shredding and tremolo picking de la guitare et à une voix gutturale du Maître Jourdain.
Ensuite, le samedi soir, lorsque Shaouit et Scot Pien faisaient sauter les participants ainsi que toutes les tentes installées au site, un jeune rappeur Wendat, Dan l’Initié rappelaient à ses auditeurs que l’heure est maintenant pour le peuple de prendre leur destin en main. Dans son mélange de spiritualité, militantisme et vérité, il appelle le peuple autochtone à se relever pour reprendre leur place dans la société.
« Kuei, les temps se rassemblent,
on a tellement […] ensemble,
allô, levez-vous,
c’est justice pour nos à,
rien de moins, levez-vous… ».
À travers sa voix engageante il réussit à mélanger la spiritualité autochtone, le christianisme, et d’autres enseignements sacrés des autres communautés de foi, il démontre la nécessité de se réunir pour lutter contre toute forme d’oppression.
Et samedi aussi, nous avons vécu quelque chose d’extraordinaire. Des chanteurs de tout genre ont pu élever l’esprit de participants en les faisant découvrir la force de travailler ensemble — autochtones, allochtones et d’autres nations présentes — pour vaincre l’oppression et freiner la destruction du néocolonialisme.
Bref, la 38e édition d’Innu Nikamu a été un temps fort pour montrer que même en cage un oiseau vivant peut bien continuer de chanter sa liberté en pause.